ثقافات

La matière ne navigue que dans l’ombre. Essai sur Paul Celan

قراؤنا من مستخدمي تويتر
يمكنكم الآن متابعة آخر الأخبار مجاناً من خلال حسابنا على تويتر
إضغط هنا للإشتراك

Ce texte est tireacute; en partie de l'introduction de mon livre Parle, toi-aussi. 32 poegrave;mes de Paul Celan, Paris, Eacute;d. Facirc;racirc;dis, avril 1995, 68 p. Il a eacute;teacute; eacute;tabli en franccedil;ais en collaboration avec Mona Huerta et Charles Illouz et lu le 15 novembre 1995, dans le cadre d'une confeacute;rence sur Paul Celan, agrave; la Maison de Eacute;crivains.


Il y aura une marche, longue,
bien plus loin que les frontiegrave;res
qursquo;ils nous tracent (1)

Au deacute;but des anneacute;es soixante-dix, en Grande Bretagne, au cours de mes recherches sur le surreacute;alisme, jrsquo;aperccedil;us dans une revue autrichienne de ce mouvement le nom de Paul Celan alors parfaitement inconnu de moi. Peu apregrave;s je tombai par hasard, sur une traduction anglaise de ses poegrave;mes publieacute;e par Michaeuml;l Hamburger chez Penguin. Je me la procurai aussitocirc;t tant jrsquo;avais soif de tout connaicirc;tre de la poeacute;sie surreacute;aliste. Il n'y avait aucun doute pour moi : Paul Celan ne pouvait ecirc;tre que surreacute;aliste tant il srsquo;eacute;tait attacheacute; agrave; faire souffler sur la langue allemande lrsquo;air pur de lrsquo;imaginaire, en jouant un rocirc;le-cleacute; en 1950 dans le premier numeacute;ro de la revue Surrealistisch Publikationen.
Agrave; la premiegrave;re lecture de ces poegrave;mes, le surreacute;alisme il est vrai, mrsquo;apparaissait en filigrane. Le recirc;ve y opeacute;rait comme moyen de retrouver ce qui eacute;tait enfoui et oublieacute;, malgreacute; la permanence des cauchemars de lrsquo;histoire brouillant sans cesse cette quecirc;te. Pour que cette aptitude agrave; utiliser le recirc;ve ne se transforma pas en estheacute;tisme poeacute;tique, le poegrave;te avait ducirc; nourrir sa recherche de signes et de meacute;taphores tireacute;s de sa propre expeacute;rience.
Je remarquai neacute;anmoins que les images ne relevaient guegrave;re du hasard objectif ou de lrsquo;eacute;criture automatique. Pas une drsquo;entre elles qui ne soit preacute;meacute;diteacute;e. Impreacute;gneacute;es de stimulantes connotations et reacute;feacute;rences, toutes au contraire eacute;taient parfaitement ciseleacute;es. Inquieacute;tantes, elles persistaient agrave; questionner quand elles mesuraient les champs du possible. A cette eacute;poque je nrsquo;eacute;tais nullement disposeacute; agrave; entrer dans cette poeacute;sie qui voulait, comme lrsquo;eacute;crivait Adorno, "exprimer lrsquo;horreur extrecirc;me par le silencerdquo; (2) .
Dans ma revendication surreacute;aliste, je trouvais alors un inteacute;recirc;t direct dans la poeacute;sie lyrique, fiegrave;re de garder son aura. Jrsquo;eacute;tais encore optimiste sur lrsquo;avenir du monde et je cherchais agrave; transplanter le deacute;sir libertaire (crsquo;eacute;tait le nom de ma revue) dans la culture arabe. Je laissai alors la poeacute;sie de Paul Celan hiberner au fond de moi, sans penser qursquo;un jour elle me reacute;veillerait, au moment ougrave; des lumiegrave;res ne subsisteraient que de simples falots.
Des anneacute;es plus tard, je reccedil;us une anthologie de poeacute;sie europeacute;enne, reacute;unie et publieacute;e en Egypte, preacute;sentant quatre ou cinq poegrave;mes de Paul Celan. La traduction en eacute;tait si visiblement de mauvaise foi que je la ressentis comme une attaque contre ma propre personne. Par exemple, dans le poegrave;me Fugue de mort, le mot ldquo;Juifsrdquo; eacute;tait gommeacute;, et le vers ldquo;tes cheveux de cendre Sulamithrdquo; devenait ldquo;tes cheveux de sable Sulamithrdquo;! Sans parler des contre-sens qui apparaissaient presque agrave; chaque ligne. Je me fis un devoir de critiquer cette traduction. Et pour cela, je commenccedil;ai agrave; approfondir mes lectures de Paul Celan.
Je compris ainsi que la poeacute;sie de lrsquo;apregrave;s-guerre nrsquo;avait plus la mecirc;me puissance estheacute;tique. Il nrsquo;eacute;tait plus possible de souscrire agrave; lrsquo;optimisme lyrique qui avait caracteacute;riseacute; au XXe siegrave;cle le mouvement poeacute;tique drsquo;avant-garde. Pour srsquo;imposer la poeacute;sie drsquo;aujourdrsquo;hui n'est plus capable de produire drsquo;images convulsives. Bien au contraire, nue, elle est exposeacute;e agrave; tous les dangers. Sa meacute;moire est envahie drsquo;eacute;veacute;nements sinistres. Une fracture a entameacute; le Verbe. Et, comme condition rudimentaire de la poeacute;sie, la reacute;volution dont les hurlements plaintifs guettent la couche de notre impuissance, essaie de filer sa corde comme si le fantocirc;me drsquo;une deacute;faite se fondait dans la reacute;verbeacute;ration des sables. Lrsquo;homme n'existerait que pour reacute;habiliter la mort quand la mort continue drsquo;ecirc;tre indiffeacute;rente agrave; elle-mecirc;me. Quel beau recirc;ve disperseacute; par un eacute;clat de lumiegrave;re ! ldquo;La poeacute;sie ne srsquo;impose plus, elle srsquo;exposerdquo; eacute;crivait Paul Celan quelques mois apregrave;s les eacute;veacute;nements de mai 1968.
Le besoin de creacute;er se fourre toujours dans de beaux draps. La nuit tombe, eacute;pheacute;megrave;re. Le jour procegrave;de drsquo;un discours inteacute;rieur. Celui qui veut eacute;crire un poegrave;me apregrave;s Auschwitz, crsquo;est-agrave;-dire changer lrsquo;eacute;tat des choses, le peut probablement en faisant de son impuissante stupeur le moment initial de ce poegrave;me. Rendre celle-ci reacute;flexe ou encore levier drsquo;une eacute;criture radicale, aquarium de soulagements drsquo;ougrave; la langue teinteacute;e des profondeurs possibles aneacute;antit la parole dans une rigueur fictive : image sans image, mot sans mot, l'homme n'est qu'une image lieacute;e au mot, mot deacute;livreacute; de l'image. La poeacute;sie de Paul Celan, crsquo;est lrsquo;eacute;vidence mecirc;me.
Paul Celan a plongeacute; dans son heacute;ritage probleacute;matique, celui du mysticisme juif, afin que la question qui habite la meacute;moire du langage ldquo;qui suis-je ?" deacute;passe lrsquo;eacute;cho esseuleacute; de sa propre voix "qui es-tu ?rdquo;. Cette immersion dans les plis de l'atavisme fit eacute;trangement de sa poeacute;sie, pour paraphraser Walter Benjamin, une "illumination profane" (3) . Srsquo;il y a lagrave; une espeacute;rance elle reacute;side dans lrsquo;espoir immanent agrave; lrsquo;existence.
Je reste convaincu qu'une telle poeacute;sie parle de la souffrance de tous les hommes, tant elle est porteacute;e par les eacute;preuves subies par lrsquo;homme juif. Apregrave;s le massacre de Sabra et Chatila, un ami irakien, qui venait de voir les images insoutenables diffuseacute;es par la BBC, me teacute;leacute;phona en pleurs. Je lui conseillai de se procurer le recueil de poegrave;mes de Celan publieacute; aux eacute;ditions Carcanet pour y puiser quelque reacute;confort. Lrsquo;effet fut immeacute;diat, et lrsquo;ami, enthousiaste, mrsquo;eacute;crivit la semaine suivante me confiant agrave; la fois son eacute;motion et sa conviction qu'il eacute;tait urgent de traduire ces poegrave;mes en arabe.
Inconscient des difficulteacute;s, je m'attelai agrave; cette tacirc;che. Entreprise gigantesque s'il en fut ! Je me lanccedil;ai dans la lecture de presque tous les ouvrages, les articles, les analyses concernant Paul Celan et sa poeacute;sie. Des commentaires combatifs de Jerry Glen jusqu'agrave; l'analyse rigoureuse et profonde de Jean Bollack en passant par Jacques Derrida, Hans-Georg Gadamar, Bernhard Bouml;schenstein et James K. Lyon pour ne citer que quelques uns d'entre ceux qui permirent d'eacute;largir le champ celanien.
Je collectionnai donc toutes les traductions en franccedil;ais et en anglais. Je remarquai que d'eacute;normes diffeacute;rences existaient entre les versions d'un mecirc;me poegrave;me, allant pour certaines jusqu'agrave; le vider de sa substance. Je ne connais pas assez la langue allemande pour traduire directement de l'original. J'en vins donc agrave; eacute;tablir un texte provisoire en arabe agrave; partir du franccedil;ais et de l'anglais, puis je revins agrave; l'original et mot-agrave;-mot je deacute;cortiquai le poegrave;me avec l'aide d'une amie allemande. Pour m'assurer du sens exact de la parole de Celan qui s'appropriait de tous les vocabulaires, je passai d'un dictionnaire specialiseacute; agrave; un autre : geacute;ographie, botanique, geacute;omorphologie, mineacute;ralogie hellip; Il me fallait traduire absolument cette faculteacute; du poegrave;te agrave; srsquo;eacute;loigner de tous les mots assassineacute;s par l'usage banal en revivifiant des termes abandonneacute;s ou en utilisant la structure imageacute;e du vocabulaire technique. Comment oublier par exemple l'enthousiasme que Celan manifesta devant Klaus Demus agrave; propos de Meermuuml;hle "moulin de mer" ? Un traducteur peu averti pourrait prendre cette expression comme un neacute;ologisme celanien suppleacute;mentaire ou une simple et belle image. Ce mot peu banal a pourtant un sens geacute;omorphologique bien preacute;cis relatif aux sources karstiques. Mon but cependant n'eacute;tait pas de donner une traduction explicative et de rendre la seule reacute;aliteacute; intrinsegrave;que du texte.

Mon ambition eacute;tait de faire de la traduction d'un poegrave;me de Paul Celan un poegrave;me transposeacute; dans une autre langue non seulement en maintenant sa syntaxe bregrave;ve et intense, mais en conservant aussi toutes ses ambiguiteacute;s, connotations et reacute;feacute;rences.
Il est clair que traduire Celan eacute;tait degrave;s lors un exercice difficile. Chaque langue ayant des capaciteacute;s de toleacute;rance syntaxique limiteacute;es, elle deacute;veloppe parfois de grandes reacute;sistances aux neacute;ologismes et aux mots trop rechercheacute;s. Fort heureusement pour moi, l'arabe, langue seacute;mite, a parfois la particulariteacute; d'ecirc;tre en compliciteacute; avec la langue de Paul Celan. Par exemple, dans le poegrave;me Corona remarquons l'expression "Geschlecht der Geliebten". Les traductions en anglais de Michael Hamburger : "the sex of my loved one", et en franccedil;ais de Valeacute;rie Briet : "ventre de ma bien aimeacute;e" ne rendent pas compte de la polyseacute;mie du mot "Geschlecht". En effet ce mot signifie aussi "race". Comme en allemand, le mot arabe "jins" couvre les deux sens mis en eacute;vidence dans le poegrave;me.
Le fruit d'anneacute;es de travail de traduction et de recherche se concreacute;tisa en 1988 par la publication de "21 poegrave;mes de Paul Celan" parmi les plus commenteacute;s. Je reste passionneacute; par ce travail. Cette anneacute;e mecirc;me, je viens de reacute;eacute;diter une version affineacute;e de ces traductions. Onze poegrave;mes suppleacute;mentaires et une introduction sur la vie et lrsquo;oeuvre du poegrave;te ont donneacute; lieu agrave; un petit livre : Parle, toi aussi. J'espegrave;re dans l'avenir reacute;unir une anthologie suffisamment conseacute;quente afin de lancer la poeacute;sie de Paul Celan dans l'oceacute;an de la langue arabe .
Avant de traduire Paul Celan, jrsquo;avais eacute;diteacute; en 1983 un recueil de poegrave;mes lui rendant hommage sous le titre Paul Celan, une rose de personne. Permettez moi pour clocirc;re cette bregrave;ve intervention de lire un de ces poegrave;mes, traduit de l'arabe par le poegrave;te algeacute;rien Farid Lariby.

Errance

Dans la deacute;bacirc;cle des images
explorant ces contreacute;es, mes yeux deacute;couvrent
des aubes agrave; l'eacute;coute de la nuit haute
jucheacute;e sur ses eacute;chafaudages,
des chemins d'escapade,
excaveacute;s jusqu'agrave; la pulpe de la terre.

Le silence ondoie
dans l'amplitude de ses cris
pour atteindre le miroir.

Me voici en partance
pour les crecirc;tes des montagnes sans valleacute;e
le Verbe, flamme tournoyante,
gravite maintenant
vers des arbres engendreacute;s par des fruits.

Ici,
dans la deacute;bacirc;cle des images,
quand, ferme, l'homme
se cramponne au mouvement,
c'est l'ombre qui se fend.

Notes:
1 - Enclos du temps, traduit par Martine Broda, ed. Clivage, Paris 1985.
2 - Theodor W. Adorno, Autour de la theacute;orie estheacute;tique : Paralipomena introduction premiegrave;re, Paris, Klincksieck, 1976 p. 94.
3 - Walter Benjamin "Sur le surreacute;alisme" in Mythe et violence, Paris, Denoeuml;l, 1971. (Dossiers des Lettres nouvelles).

Abdul Kader El Janabi

التعليقات

جميع التعليقات المنشورة تعبر عن رأي كتّابها ولا تعبر بالضرورة عن رأي إيلاف