Jean Dammou
1942 (Kirkuk, Irak)- 2003 (Sidney, Australie)

Avec chaque innovation poeacute;tique apparaissent des personnages singuliers : poegrave;tes sans poegrave;mes. La poeacute;sie arabe moderne a connu de telles figures.Nous preacute;sentons ici Jean Dammou, poegrave;te dans ses gestes et sa vie, exemplaire agrave; ce titre.
Elegrave;ve d'origine assyriennedu collegrave;ge de Kirkuk, tregrave;s doueacute; en matheacute;matiques, Jean Dammou nrsquo;avait jamais imagineacute; ecirc;tre poegrave;te. Sa famille attendait de lui qursquo;il gagne de quoi nourrir les siens. Parfaitement installeacute; dans cette normaliteacute; sociale, il rencontra bientocirc;t Sargon Boulus qui lui lut la traduction qursquo;il venait de faire drsquo;un poegrave;me de Merwin. Il
se sentit alors foudroyeacute; par la poeacute;sie, en demeura peacute;trifieacute;, convaincu de la deacute;rision dans laquelle se tenaient tant de lettreacute;s et drsquo;escamoteurs. Deacute;sormais vagabond, il srsquo;abandonna agrave; son eacute;tat de poegrave;te, promettant agrave; qui voulait lrsquo;entendre qursquo;ilallait eacute;crire le Grand Poegrave;me. Son eacute;tat de poegrave;te eacute;tait authentique. Jrsquo;en tiens deacute;jagrave; pour preuve sa deacute;gaine, son deacute;goucirc;t des poegrave;tesde premier plandont lrsquo;assurance srsquo;effondrait degrave;s qursquo;il apparaissait. Sa bohegrave;me et ses petits poegrave;mes insolites comme celui qursquo;il publia pourtrois sous dans al-Aamilouna fin Naft, (Les ouvriers du peacute;trole), sous le titre Le soldat qui a pris le train et oublieacute; de dire oui au professeur, dont voici le texte inteacute;gral : quot;3quot;.

Cet autre encore que lui inspira une beauteacute; de passage :
Mon amour,
Ta bouche est un acirc;ne eacute;lectrique
ougrave; mes dents voyagent au greacute; du vent.

Un jour de 1968, je me souviens avoir demandeacute; agrave; Jean Dammou un poegrave;me pour le quotidien al-Akhbacirc;r. Jean vivait alors dans un coin de cour agrave; cocirc;teacute; drsquo;un gros robinet. Jrsquo;ai attendu lagrave; plus drsquo;une heure et demi le titre drsquo;un de ses poegrave;mes qursquo;il a fini par baptiser quot;Le glossaire de lrsquo;eau !quot; Drsquo;une oelig;uvre poeacute;tique immense qursquo;il nrsquo;a pas eacute;crite, seuls restent de rares fragments eacute;changeacute;s contre un frugal repas ou recueillis par quelques-uns de ses amis. Apregrave;s de longues anneacute;es drsquo;errance dans les bas-fonds drsquo;Amman, il a opteacute; pour le grand large des terres australes. Il mourut dans une chambre agrave; Sidneyle 9 mai 2003.
Jean Dammou, qursquo;une conduite incongrue rendait deacute;risoire aux yeux mecirc;mes de ses proches, deacute;tacheacute; qursquo;il eacute;tait de ses propres eacute;crits, fut celui qui refuse les yeux ouverts, ce que drsquo;autres acceptent, les yeux fermeacute;s : le profit drsquo;ecirc;tre poegrave;te. Il garde ainsi pour nous le clicheacute; intact de ces belles anneacute;es 1960ougrave; nous nous preacute;parions agrave; plonger au fond de lrsquo;inconnu pour trouver du nouveau.


Florilegrave;ges

Je nrsquo;eacute;tais qursquo;interrogation dans le vent
Et me suis fait mirage sans eacute;cho
Je suis vague et langage.

Un jour je me fondrai dans lrsquo;apocalypse et le brouillard
Laissant closes toutes les portes de lrsquo;infini en attente du diable.

Le fleuve des instants srsquo;accroupit dans le jardin des fleurs.
Les bouches sont figeacute;es.
Elles nrsquo;expriment qursquo;une litanie
De tourment et de deacute;sespeacute;rance
Et lrsquo;immensiteacute; du passeacute; nous lie au zeacute;phyr et au zeacute;ro.
Rire encore et toujours
Provoquer les gouvernants
Refuser
Sentir la honte
Regretter ses fautes
Se reacute;jouir
Vanter ses oelig;uvres
Mourir
Se reacute;volter
Dire laquo; non raquo; au pouvoir
Dire laquo; oui raquo; agrave; la reacute;volte,
La liste est longue. Elle est vivace et froide.
Ici, ni mort, ni eacute;cho. Chacun est artisan de sa liberteacute;.
En deccedil;agrave; le futur srsquo;oxyde.

Mecirc;me si tu meacute;dites longuement
Tu ne fais face qursquo;au vide.
Il nrsquo;est ni beau ni effrayant
Il est le chaos agrave; lrsquo;origine de lrsquo;univers.
Il peut trsquo;entraicirc;ner, sans que tu le saches,
Dans des paradis et des enfers que jamais tu nrsquo;as imagineacute;s.
Le mieux est de nous reacute;signer
Pour ne pas ecirc;tre victimes de ces dinosaures
Qui nous entourent nuit et jour
Ou de ceux qui nous font sursauter le matin
Lorsque nous prenons notre cafeacute;
Et jetons devant nous les cleacute;s rouilleacute;es du monde.


Traduits par A. K. El Janabi et Mona Huerta