Buland al-Haidari, 1926 (Bagdad, Irak)-1996 (Londres, Royaume Uni)

Selon lrsquo;analyse judicieuse drsquo;Amr Heacute;gazi, laquo; en posant au milieu des solenniteacute;s du verbe poeacute;tique traditionnel la chaleur troublante et la preacute;sence charnelle du langage parleacute;, veacute;cu, actuel et imparfait raquo; Buland al-Haidari, deacute;sacralise le langage en le laiuml;cisant (al-Arham Hebdo, 2-8 octobre 1996, p. 18). Ce dernier, agrave; la fin de la Seconde Guerre mondiale creacute;e, avec des amis, le groupe al-waqt al-dhairsquo; (Le temps perdu), autour de la revue du mecirc;me nom. Sensibles aux courants litteacute;raires europeacute;ens ses membres srsquo;exercent agrave; transplanter agrave; Bagdad les ideacute;es existentialistes. Crsquo;est dans ses premiers recueils Le Battement de la boue (1946), Le chant de la ville morte (1951) et Pas dans lrsquo;exil (1965), que Buland al-Haidari bouleverse lrsquo;eacute;criture en introduisant dans sa poeacute;sie le langage vivant du quotidien. Il impose ainsi une nouvelle lecture poeacute;tique de la reacute;aliteacute; qui va faire de nombreux eacute;mules. Son diwan, qui regroupe lrsquo;ensemble de son oelig;uvre a eacute;teacute; publieacute; au Caire en 1995.


Steacute;riliteacute;

La mecirc;me route
Les mecirc;mes maisons lieacute;es par la peine
Le mecirc;me mutisme
Nous disions :
Demain il mourra
Et de chaque maison srsquo;eacute;legrave;veront
Des voix de petits enfants qui,
Glissant avec le jour sur la route,
Se moqueront de notre passeacute;,
De nos femmes plaintives
Et de nos yeux glaceacute;s sans lumiegrave;re
Ils ne sauront pas ce que sont les souvenirs
Pas plus qursquo;ils ne comprendront le vieux chemin
Ils riront sans se demander
Pourquoi ils rient !

Nous disions :
Demain nous connaicirc;trons le sens de nos paroles
Les saisons nous reacute;unissent
Ici un ami
Lagrave;-bas un homme timide
Hier une passion
Et peut-ecirc;tre ne savions-nous ce que nous disions
Car aujourdrsquo;hui les saisons nous reacute;unissent
Cet ami est sans ami
Cette passion est cynique et brutale
La mecirc;me route
Les mecirc;mes maisons lieacute;es par la peine
Le mecirc;me mutisme
Et lagrave;-bashellip;
Il y avait derriegrave;re les fenecirc;tres fermeacute;es
Des yeux caves qui se sont figeacute;s
En attente de gamins
Ils craignent que le jour passe
Avec le chemin.


Regret
(Premiegrave;re version)

Pardonnez-nous, hocirc;tes veacute;neacute;rables
Le preacute;sentateur a menti dans son dernier bulletin radio.
A Bagdad, il nrsquo;y a ni mer, ni perle,
Ni mecirc;me une icirc;le !
Tout ce que nous a raconteacute; Sindbad,
Les rois des Djinns,
Des icirc;les de rubis et de coraux
Des mille et mille piegrave;ces drsquo;or de la main du Sultan,
Nrsquo;est que leacute;gende faccedil;onneacute;e
Par la chaleur de lrsquo;eacute;teacute; dans notre petite ville
Par lrsquo;ignition des ombres agrave; midi
Par lrsquo;ardeur des eacute;toiles dans le silence nocturne,
Leacute;gende dans laquelle nous avions
Mer, coquillages, perles blanches,
Lune claire et retour de pecirc;cheurs le soir,
Selon laquelle nous avions,
Dans la mystification du dernier bulletin radio
Un paradis rempli de candeurs et de songes.
Nous mentons, chers veacute;neacute;rables hocirc;tes, pour renaicirc;tre
Nous mentons pour que notre longue histoire
Reste cette leacute;gende de Sindbad qui nous donne
Mer, coquillages, perles blanches
Et heure de naissance.

Pardonnez-nous, veacute;neacute;rables hocirc;tes
Le preacute;sentateur a menti dans son dernier bulletin radio
A Bagdad, il nrsquo;y a ni mer,
Ni perle, ni mecirc;me une icirc;le !


Eh toi ! Tu es condamneacute; !

Jrsquo;eacute;tais sorti cette nuit-lagrave;
Jrsquo;avais dix cartes drsquo;identiteacute; en poche
Qui me permettaient drsquo;aller et venir.
Mon nom est Buland fils drsquo;Akram
Et ma famille est bien connue
Jamais je nrsquo;ai tueacute;
Ni mecirc;me voleacute;
Jrsquo;ai dix cartes en poche qui en teacute;moignent
Alors, pourquoi ne serais-je pas sorti cette nuit-lagrave; ?
La mer ne connaissait pas de rivage
Et plus encore que lrsquo;oelig;il de lrsquo;homme
Lrsquo;obscuriteacute; eacute;tait ample et profonde !
Le trottoir ne reacute;sonnait que du bruit de mes souliers
Tip, tap ! Tip, tap !
Tantocirc;t je cueillais mon ombre pregrave;s drsquo;un reacute;verbegrave;re
Tantocirc;t je la diffusais ccedil;a et lagrave;
Puis je mrsquo;esclaffais
Agrave; la penseacute;e de la maicirc;triser
Au point que je pouvais la rabattre derriegrave;re moi,
La noyer dans une flaque drsquo;eau sale,
Lrsquo;eacute;craser sous mes talons
Ou lrsquo;eacute;touffer dans mon manteau
Tip, tap ! Tip, tap !
Lrsquo;ombre me suivait
Tip, tap ! Tip, tap !
Si un homme jouit de plusieurs identiteacute;s
Bien grande est son ombre
Dans une eacute;poque qui nrsquo;en a aucune.

Je chantais, sifflais, criais, riais, et riais encore
Et je croyais posseacute;der toute la mer, toute la nuit
Et tous les trottoirs obscurs
Jusqursquo;agrave; les obliger agrave; mrsquo;eacute;couter,
Se faire lrsquo;eacute;cho de mon appel
Ecirc;tre une piegrave;ce de mes souliers
Tip, tap ! Tip, tap !
Je palpais les papiers dans ma poche
Ici mon nom
Lagrave; ma photo,
Le tampon du preacute;fet
Et la signature du ministre de la Justice
Qui, fier de son paraphe
Alla jusqursquo;agrave; entailler ma bouche,
Faire sauter une de mes dents
Et laceacute;rer mon adresse
Je craignais quehellip; mais jrsquo;avalai ma langue !
Des sept autres cartes
Je jure que si une montagne eacute;tait venue agrave; passer
Elle se serait prosterneacute;e
Devant lrsquo;eacute;vidence de ma grandeur de poegrave;te,
De ma connaissance et de mon art

Car jrsquo;ai dix cartes en poche
Je chantais, sifflais, criais, riais, et riais encore.
Si un homme jouit de plusieurs identiteacute;s au coelig;ur des teacute;negrave;bres
Bien grande est son ombre !
Dix cartes dans une eacute;poque sans identiteacute;.

Le lendemain, deux policiers se preacute;sentegrave;rent
A ma porte et me demandegrave;rent : Qui es-tu ?
Moi ? hellip;
Buland, fils drsquo;Akram !
Ma famille est bien connue
Jamais je nrsquo;ai tueacute;
Ni mecirc;me voleacute;
Jrsquo;ai dix cartes en poche qui en teacute;moignent
Et je suishellip; alors pourquoi ?

Ils se gaussegrave;rent de moi
Et des dix cartes
Et devant mes yeux je vis
Briller et tomber une main, ocirc; lacirc;cheteacute; et deacute;ception hellip;
Eh toi, tu es condamneacute; !
Qui toi ?
Que faisaient-ils de mon nom, de ma photo
De la signature du ministre
Je ne sais hellip; Je ne sais hellip;
Mais je compris que mes cartes
Nrsquo;eacute;taient pour eux que des piegrave;ces agrave; charge
Et que jrsquo;allais passer cette nuit-lagrave; en prison
Au nom de mes dix identiteacute;s
Je ris, ris et ris encore.

Tout individu pourvu drsquo;une identiteacute;
Dans une eacute;poque qui nrsquo;en a aucune
Est fatalement condamneacute;.
Deacute;chire-la, oui, deacute;chire-la, geocirc;lier !
Eacute;crase-la, oui, eacute;crase-la, geocirc;lier !
Jrsquo;entendis alors ses pas derriegrave;re moi
Tip, tap ! Tip, tap !
Il eacute;tait le proprieacute;taire de la mer, de la nuit
Et de tous les trottoirs obscurs
Tip, tap ! Tip, tap !

Le pas perdu

L'hiver incise les trottoirs de la gare
Une tempecirc;te miaule comme un chat
Et sur le chemin
Un vieux reacute;verbegrave;re tremble
Et fait trembler notre parcimonieux village
Que vais-je faire dans la ville ?
Elle m'a demandeacute; :
Que vas-tu faire dans la ville ?
Ton pas stupide se perdra dans ses grands rues
Ses ruelles aveugles t'eacute;craseront
Et la nuit poussera en espoirs tristes
Dans tes sourdes profondeurs

Que vas-tu faire sans ami dans lahellip; ?
Non, aucun ami dans cette ville
Et tu t'es moqueacute; de moi
Je suis resteacute; agrave; attendre le train pour la ville
Et tu m'as quitteacute;
Et je t'ai quitteacute;e
De la portiegrave;re du train, j'ai vu passer des villages
Flottant et se deacute;posant dans les sables
Tandis que j'attendais le jour
avec la ville

Des anneacute;es ont passeacute;,
Ocirc; teacute;negrave;bres, les nuits noires sont prolongeacute;es
Dans mes yeux, et tes nueacute;es ont enflammeacute; !
Alors, pour qui dois-je revenirhellip;!

Pour mon village,
Pour l'hiver qui incise les trottoirs de la gare,
Pour la lumiegrave;re qui fait trembler notre parcimonieux village
Ou pour les femmes mortes de honte
Nonhellip;
Je ne reviendrai pas
Pour qui devrai-je revenir ? Mon village est devenu une ville.
A chaque deacute;tour une lumiegrave;re,
A chaque coin une lumiegrave;re,
A chaque cible un pas de lumiegrave;re
Pour un nouveau reacute;verbegrave;re qui me criera :

Que veux-tu ? Que veux-tu, ombre vagabonde,
Que veux-tu ?
Rien ici ne me connaicirc;t
Et je ne connais rien ici
Rien ne se souvient de moi
Et je ne me souviens de rien
Je traicirc;nerai mon petit pashellip;
Ici
Dans ses grands rues
Et ses aveugles ruelles m'eacute;craseront.
Non, je ne reviendrai pas
Pour qui devrai-je revenir ? Mon village est devenu hellip;une ville,
Devenu une ville.

Traduits par A. K. El Janabi et Mona Huerta